À mon enterrement
Léo Ferré
A mon enterrement j'aurai des cheveux blancsDes dingues et des Pop aux sabots de guitareDes cheveux pleins de fleurs des champs dedans leurs yeuxHennissant des chansons de nuit quand y'en a marreJ'aurai des mômes de passe, ceux que j'ai pas finisDes filles de douze ans qui gonflent sous l'outrageDes Chinoises des Russes des Nordiques rempliesDes rues décapitées par des girls de passageA mon enterrementEt je ferai l'amour avec le croque-mortAvec sa tête d'ange et ses dix-huit automnesDouze pour la vertu et six mourant au portQuand son navire mouillera comme un aumôneA mon enterrement j'aurai un cœur de ferEt me suivrai tout seul sur le dernier bitumeLâchant mon ombre enfin pour me mettre en enferDans le dernier taxi tapinant dans la brumeA mon enterrementComme un pendu tout sec perforé de corbeauxA mon enterrement je gueulerai quand mêmeJ'aurai l'ordinateur facile avec les motsDes cartes perforées me perforant le thèmeJe mettrai en chanson la tristesse du ventQuand il vient s'affaler sur la gueule des pierresLa nausée de la mer quand revient le jusantEt qu'il faut de nouveau descendre et puis se taireA mon enterrementA mon enterrement je ne veux que des mortsDes rossignols sans voix des chagrins littérairesDes peintres sans couleurs des acteurs sans décorDes silences sans bruits des soleils sans lumièreJe veux du noir partout à me crever les yeuxEt n'avoir jamais plus qu'une idée de voyanceSous l'œil indifférent du regard le plus creuxDans la dernière métaphore de l'offenseA mon enterrement
À Saint-Germain-des-Prés
Léo Ferré
J'habite à Saint-Germain-des-Prés
Et chaque soir j'ai rendez-vous
Avec Verlaine
Ce vieux pierrot n'a pas changé
Et pour courir le guilledou
Près de la Seine
Souvent l'on est flanqué
D'Apollinaire
Qui s'en vient musarder
Chez nos misères
C'est bête, on voulait s'amuser
Mais c'est raté
On était trop fauchés
Regardez-les tous ces voyous
Tous ces poètes de deux sous
Et leur teint blême
Regardez-les tous ces fauchés
Qui font semblant de ne jamais
Finir la semaine
Ils sont riches à crever
D'ailleurs ils crèvent
Tous ces rimeurs fauchés
Font bien des rêves quand même
Ils parlent le latin
Et n'ont plus faim
A Saint-Germain-des-Prés
Si vous passez rue de l'Abbaye
Rue Saint-Benoît, rue Visconti
Près de la Seine
Regardez le monsieur qui sourit
C'est Jean Racine ou Valéry
Peut-être Verlaine
Alors vous comprendrez,
Gens de passage,
Pourquoi ces grands fauchés
Font du tapage
C'est bête
Il fallait y penser
Saluons-les
A Saint-Germain-des-Prés
Sem comentários:
Enviar um comentário