terça-feira, 31 de janeiro de 2023

POEMAS CANTADOS DE LÉO FERRÉ


La forêt qui s'élance au ciel comme une vergeLes serments naufragés qui errent sur la bergeLes oiseaux dénoncés que le chasseur flambergeLes diamants constellés qui fuient les pâles couchesTous les yeux de la rue qui crèvent sur ta boucheLe pavé que tu foules et ma voix que tu touchesLes amants accolée muets comme la cireLes culottes des femmes où le monde se mireLes fauves repentis qui rendent des martyrsLe ventre des pendus qui coule des potencesLes noces pathétiques où les larmes sont rancesLes émigrants qui n'ont jamais de pain d'avanceLes mains transfigurées qui règlent la tziganeBaudelaire et Shakespeare au chevet des profanesLes chevaux condamnés et leur dernière avoineLa voix pour commander à mille couturièresUn lit avec le Parthénon comme litièreLe cathéchisme de la joie la vie entièreDes violons barrissant les complaintes futuresDes tonnes de crachat sur la CritiquatureLe vent du large et des bûchers pour les clôturesDes langues pour parler aux Chinois faméliquesDes poumons pour souffler au ventre des phtisiquesDes javas pour brouiller les chants patriotiquesLe ruisseau qui jouit jusqu'au Havre sans trêveLe malheureux le chien qui meurt l'homme qui crèveLe sang des femmes qui sont mortes sans un rêveLes cheveux élagués qui cherchent des caressesLe remords amical du prêtre qui confesseLes yeux des tout-petits riboulant de tendresseL'orgue de la nature au souffle de violettesLes rendez-vous mystérieux sous la voiletteLe numéro que tu voulais à la rouletteLes portes de secours battant sur les étoilesLes Vendredis des Robinsons des capitalesLa boussole des veuves aveugles sous leur voileLe vain espoir des mitraillés sous la mitrailleLa poitrine qui bat sous les pâles médaillesLes jésus désertant le fruit de tes entraillesLes dentelles flottant au nez de la misèreLe loup blessé à mort qu'on regarde se taireLe chant du coq et le silence de saint PierreLes cœurs déchiquetés qui parlent aux fantômesLes gens de bien qui ont désintégré l'atomeLe Capital qui joue aux dés Notre RoyaumeET PUIS la majuscule ennui qui nous scléroseMon pauvre amour car nous pensons les mêmes chosesEn attendant que l'Ange nous métamorphose...




À vendre

Léo Ferré


Je vendrais de l'amour si l'amour est à vendre
Je vendrais des jardins si ça poussait chez moi
Je vendrais un pendu si je pouvais me pendre
Je vendrais la Folie si les fous se vendaient

Je vendrais du whisky comme un chagrin de grain
Je vendrais des canaux aux télés assoiffées
Je vendrais votre lit, Madame qui passez
Je vendrais mon chandail quand ma brebis tricote

Je vendrais le Pouvoir si je pouvais le vendre
Je vendrais mes chansons aux coqs à coqueluche
Je vendrais les chasseurs, même au mois de septembre
Et je vendrais leurs chiens si mes chiens me le disent

Je vendrais l'Arabie pour douze sacs d'avoine
Je vendrais mon cheval s'il mangeait de l'essence
Si je vends mon enfer pour me chauffer l'hiver
J'écouterais le tien sur mon vieux pornographe

Je vendrais la marée à la mer sans courage
Je vendrais la boussole à toi qui perds le Nord
Je vendrais la pampa aux plantes carnivores
Et je vendrais le bruit au silence de mort

Je vendrais la passion si tu me la donnais
Je vendrais l'inversion si tu viens à l'envers
Je vendrais le courage aux sans peur ni reproche
Et je vendrais l'enfer pour un demi de bière

Je vendrais l'Amérique aux Indiens de Nanterre
Je vendrais Robespierre à ceux de soixante-huit
Je vendrais soixante-huit aux Communards, mes frères
Je vendrais la Commune si cela se vendait

Je vendrais les patrons aux ciseaux de ma mère
Je vendrais du Corton au dernier, pour la route
Je vendrais l'essentiel au seuil de la mémoire
Je vendrais les douaniers aux frontières du doute

Je vendrais la Justice aux anars de service
Je vendrais les ordures aux parfums de Madame
Je vendrais le sourire aux larmes qui se cherchent
Et je vendrais l'automne à celles qui se trouvent

Je vendrais des psychiatres à la géométrie
Je vendrais du psychique à la matière inerte
Je vendrais des rivières aux deltas de la nuit
Je vendrais de l'absinthe à l'espérance verte
A l'espérance verte

Je vendrais les baleines aux corsets de naguère
Je vendrais les outrages aux hommes à genoux
Je vendrais les aurores aux aubes qui s'oublient
Et je vendrais des armes à la mélancolie

Je vendrais un instant au Temps du relatif
Je vendrais quelques volts aux galaxies éteintes
Je vendrais Nulle part à des prix prohibitifs
Je vendrais la Raison à des prix hors d'atteinte
La Raison à des prix hors d'atteinte

Il ne reste que moi qui ne suis pas à vendre
Alors, tu es passée et je me suis donné
A toi
Pour rien
A toi
Pour rien

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